…ou presque. Avez-vous déjà essayé de décrire un son à quelqu’un pour vous faire comprendre? Les quelques mots qui s’y rapportent directement sont souvent utilisés pour en décrire le caractère désagréable ou imparfait : « strident », « criard », « sourd »…une exception ? : « mélodieux », et en réalité j’en ai déjà presque fait le tour. Car tous les autres, nous les empruntons à nos autres sens, délaissant l’ouïe pour nous raccrocher au toucher, au goût et bien entendu à la vue, notre sens majeur lorsque nous avons la chance d’en avoir la jouissance. Et l’odorat pensez-vous ? Je ne le perds pas de vue mais en principe les termes le concernant n’ont pas d’utilité pour parler de musique, à moins de le faire de façon très critique et très vulgaire… Quoiqu’il en soit, il est très notable que notre vocabulaire manque terriblement de référence à l’univers des sensations auditives et nous force à puiser dans notre escarcelle bien plus fournie de mots qui, en principe, ne sont pas conçus pour cela.
Lisez ou écoutez une critique à propos d’une sortie musicale ou d’un nouveau produit de haute-fidélité et vous y trouverez des qualificatifs issus du monde de la dégustation comme « épicé », « fruité » ou pourquoi pas « insipide », ou encore « velouté », râpeux », ou bien du toucher tel « en apesanteur » ou « bouillant », « léger » ou « lourd » ou « aéré », et bien sûr le compte-rendu sera davantage encore truffé de « lumineux », « obscur », « clair » ou « sombre » et aussi de timbres un peu « verts » ou de notes un peu « bleues ». On entendra souvent aussi parler d’une image large et profonde ou au contraire plate ou étroite… Une image ? Eh oui, impossible de décrire le son ou la musique sans passer par des références faisant appel à d’autres sens ou sensations ! L’ouïe est en effet le parent pauvre de notre langage ou qui sait, plus largement de notre civilisation. Pourtant le son et la musique y ont une place considérable et nous sommes tous désireux d’un certain confort acoustique dans les espaces où nous vivons et travaillons. Mais notre langue néglige d’en préciser les références. Sans doute les langues qui vivent ou survivent grâce à l’oralité davantage que par l’écrit ont su garder des mots plus expressifs et plus nombreux pour décrire les sensations auditives. Pensons simplement au wallon, dont les mots décrivent parfois quasi phonétiquement et très poétiquement les bruits ou les sons qu’ils évoquent.
Mais est-ce grave, docteur ? Non évidemment, c’est juste une sorte de pauvreté de vocabulaire pour parler d’un monde d’une richesse infinie et c’est un peu étrange quand on y réfléchit. Mais c’est comme cela, et ce n’est pas l’essentiel sans doute pour l’amateur de bonne musique. Comme bien des choses dans la vie, l’important n’est pas d’en parler mais de les vivre. Cependant ce manque souligne à quel point il est difficile de communiquer sur ce sujet sans faire des périphrases, des métaphores et autres figures de style. Et cela a des conséquences lorsqu’il s’agit de vous informer à propos de votre prochain achat. Vos amis, les journalistes spécialisés, et nous-mêmes, sommes tous un peu démunis pour communiquer efficacement. Voilà pourquoi, ces merveilleuses sensations musicales si compliquées à décrire, c’est à chacun d’entre nous, seul entre ses deux oreilles, comme j’aime à dire, de prendre le temps de les analyser et d’en tirer ses propres conclusions, seules à même de permettre les bonnes décisions. Les décrire avec des mots n’est pas si nécessaire que cela. C’est un exercice intéressant peut-être mais certainement pas indispensable.
Et au fond, utiliser mille détours, se creuser pour parler de nos perceptions respectives, c’est échanger, c’est chercher à les définir pour quelqu’un dont on estime qu’il est important qu’il comprenne, sans la possibilité de pouvoir être rigoureux et précis. Cela me fait immanquablement penser au mécanisme de la séduction, comme quand on papillonne sans pouvoir ni vouloir être direct pour ne pas rompre le fragile charme en train, peut-être, d’opérer. On le sait, la musique est la langue de l’amour par excellence, il est peut-être nécessaire de ne pas pouvoir la décrire afin de laisser intacte toute sa magie et de ne pas lui ôter son merveilleux pouvoir sur nous.