Rater la bonne affaire, quelle angoisse ! Regarder passer le train, le rater de justesse, quelle injustice ! Pourquoi ? Qu’ai-je fait au monde pour mériter ça? Vos flux d’actualité, constitués pour les trois-quarts de publicités qui ne disent pas leur nom, vont surchauffer bientôt si ce n’est déjà le cas: remise insensée, prix jamais vu, chute de prix indécente mais tout à fait confidentielle, rien que pour vous, les futés qui seront assez malins pour en profiter… J’en passe et des meilleures.
Ne crachons pas dans la soupe : nous avons nous aussi la possibilité d’offrir à l’occasion de bonnes affaires. Mais la question au cœur d’un bon achat, un achat dont on continuera longtemps à se féliciter, n’a que peu de rapport avec le fait qu’il s’agisse d’une bonne, d’une meilleure ou d’une excellente affaire. Cette question, c’est celle de la pertinence, du bien fondé, des atomes crochus, de la conviction profonde basée sur la parfaite adéquation d’un produit avec vos besoins tant subjectifs que pratiques. La question du budget est évidemment une partie de l’équation, nous le savons tous, mais le caractère pervers des offres d’automne en particulier, c’est qu’elles sont concentrées sur une courte période et qu’elles s’ingénient à jouer sur la corde « maintenant ou jamais, fonce! » Une urgence très artificielle qui peut mettre à mal notre capacité à peser nos choix et à prendre le temps dont nous avons besoin pour forger nos décisions.
Un autre aspect de la question peut aussi interpeller : c’est votre fournisseur qui décide de qu’il veut vous vendre. Vous aurez beau vous convaincre du contraire, c’est exactement l’inverse qui va se produire. La loi de l’offre et de la demande est bien connue. On ne sacrifie jamais un prix sans raison. Les causes peuvent en être très diverses, mais elles existent c’est certain, autant le savoir. Tel produit s’est très mal vendu pour toutes sortes de raisons, le voilà sacrifié en raison des surstocks. Tel gros fournisseur en ligne s’est royalement planté dans ses commandes planifiées et a stocké en quantité des produits vendus trop chers pour leur prestation, il doit bien entendu les liquider car cela pèse trop lourd dans son stock et les prochaines planifications sont déjà là, quasiment livrées chez leur logisticien. Hé oui, planification : l’industrie électronique ne fonctionne pas en flux tendu comme par exemple l’industrie automobile où le plus souvent votre voiture est fabriquée seulement quand vous l’avez commandée. Voilà pourquoi le fabricant va tenter de reporter la pression des volumes qu’il a décidé de fabriquer vers ses clients, c’est à dire ses distributeurs/importateurs qui eux-mêmes refilent la patate chaude à leur gros clients qui font des volumes principalement en ligne… Le temps des industriels de notre secteur est paradoxal : c’est un temps long car il faut développer, valider, produire et vendre par anticipation, mais on le sait, tout change vite dans le monde de l’électronique et la concurrence fait rage, donc il faut aussi tenter de garder un temps d’avance et faire vite… Les grosses structures conçues pour faire des volumes n’ont que peu de temps pour profiter d’un prix initial rentable avant que ne se lance l’inévitable course concurrentielle vers le prix plancher qui les obligera in fine à vendre à perte au pire ou à prix coûtant au mieux. Ce n’est donc pas sur la rentabilité par produit que leur modèle économique repose, mais sur un énorme volume d’appareils sélectionnés par leurs experts et leurs logiciels pour équilibrer la balance sur un volume total. Cela suppose forcément des marges d’erreur et donc d’inévitables sacrifices lors des promotions Black Fridays ou autres liquidations afin d’éliminer au plus vite ce qui coûte ou ne rapporte pas. Ce qui est liquidé dans ces occasions n’est pas forcément inintéressant mais a clairement fait l’objet d’erreurs de programmation ou de tarification en amont du côté du fabricant ou de ses filières de recyclage naturelles, les mastodontes de l’internet.
Il ne faut pas être manichéen, l’industrialisation et la fabrication en grande série ont été les clés pour que le plus grand nombre puisse profiter de possibilités jamais vues auparavant, dans quasi tous les domaines. Pour ce qui est du nôtre, une chouette platine CD ou vinyle, un amplificateur de qualité ou une paire d’enceintes sérieusement construite n’ont jamais été aussi abordables qu’aujourd’hui. Vous en doutez ? Voici un moyen infaillible de le prouver pour ceux qui en ont déjà l’âge : comparez la valeur de vos enceintes ou de votre ampli de l’époque à ce que représentait votre salaire au même moment. Bien sûr, il existe parallèlement à ces produits accessibles de plus en plus d’équipements qui valent de véritables fortunes, mais ça c’est une autre histoire, liée à l’évolution d’une fracture qui n’est pas près de se consolider dans nos sociétés modernes, j’en reste là sur ce sujet. Les possibilités offertes par notre société de consommation sont incroyables, presque vertigineuses et dans un sens toute cette créativité est merveilleuse. Ce n’est pourtant pas une raison pour oublier de s’interroger à bon escient sur la démarche que constitue un achat, aussi naturel et simple soit-il. Qu’implique-t-il pour moi, pour la chaîne d’approvisionnement, pourquoi en ai-je besoin, etc… il ne s’agit pas de s’infliger une migraine, mais de poser un choix, de s’accorder le temps nécessaire pour l’effectuer librement et avec détermination. La pression phénoménale que tente de nous imposer le marché lors des grandes manœuvres de promotion est subie uniquement si on y consent. Elle pourrait bien sûr parfaitement coïncider avec vos besoins mûrement réfléchis, mais ce sera probablement beaucoup plus souvent l’exception que la règle.
J’aimerais aborder une autre problématique liée à ces méga mouvements commerciaux de saison : le principe même du commerce en ligne et des grandes surfaces, rend l’essai avant achat impossible. Il faut donc s’en remettre à d’autres, professionnels de la critique ou particulier s’exprimant sur des forums, et se forger une opinion en en synthétisant d’autres. Le contraire donc de la conviction intime.
Vous pouvez, pour pallier à ce problème, procéder par essai et erreur, le droit européen vous y autorise : je commande ceci, ça ne me convient pas, ok je renonce à mon achat puisque j’en ai le droit et je le renvoie pour tenter autre chose jusqu’à ce que je sois satisfait. C’est en effet une possibilité, mais quelle logistique ! Vous mettrez en branle une quantité non négligeable de transport et de manutention (sans parler de votre propre investissement en temps pour régler tout cela). Et c’est sans compter qu’à ce petit jeu on peut vite se perdre et tâtonner sans fin parce que la décision n’est jamais irrémédiable contrairement aux choix que nous posons « dans la vraie vie » qui sont généralement sans retour. Ou bien encore vous pouvez quand même utiliser nos services ou ceux de nos confrères détaillants et vous faire démontrer le ou les produits que vous envisagez, pour ensuite les commander en ligne pour toutes sortes de raisons qui ne regardent que vous. Vous serez toujours les bienvenus, nous n’avons aucun moyen de scanner vos intentions. Nous vous donnerons toujours le meilleur de nous-mêmes parce que c’est comme cela que nous fonctionnons… Parce que c’est important pour nous de rentrer le soir à la maison sereins et certains d’avoir travaillé en accord avec nos principes.
Vous avez lu jusqu’ici ? Sans doute étiez-vous convaincus d’avance et partagez-vous grosso modo ce point de vue très subjectif (comme tout ce que vous trouverez sur ce blog d’ailleurs). Sinon vous avez fait preuve de courage, soyez en remercié. Vous demanderez peut-être à quoi sert cette petite bafouille qui ne veut rien vous vendre. Vous avez parfaitement le droit de vous poser cette question. Je me la suis posée également. La réponse est très simple : ça me fait du bien.
Sur ce, je vous laisse, non sans vous suggérer pour remettre la musique au centre, c’est à dire exactement à sa place, de jeter une oreille si vous en avez l’occasion sur quelques petits albums qui nous ont enchantés, plus ou moins récemment.
-Paolo Pandolfo – Improvisando (enregistré à l’église de Franc-Waret)