Peut-être avez-vous vu notre petite vidéo Instagram du déballage du dernier des amplis de la gamme Pier Audio, le MS1000SE, fraîchement arrivé à la Maison. Il était accompagné d’une modeste paire d’enceintes, les Filante 13. Monsieur Muscles est en effet le plus puissant des amplificateurs intégrés jamais proposé par la marque. Madame Normale est une modeste enceinte compacte à l’aspect classique et sage. Mais on verra qu’il ne faut jamais s’arrêter aux apparences et que l’extraordinaire se dissimule souvent derrière les choses les plus simples au premier abord, ou encore qu’un physique massif peut dissimuler des trésors de sensibilité et de raffinement. (Du coup je me dis que tout n’est pas perdu pour moi…)


Ils se sont déchainés pour concevoir ce MS1000SE chez Pier Audio. Cet engin est puissant, 150 Wrms par canal sur 8 Ohms. Mais aussi et peut-être surtout, les 20 premiers watts, ceux dont on se sert en réalité presque exclusivement au jour le jour, sont distillés en classe A pure avant que l’appareil commute automatiquement en classe AB lorsque les sollicitations sont plus importantes. Vous le savez peut-être, une autre technologie caractérise toutes les productions électroniques de la marque : la présence de tubes au minimum dans la préamplification (conception hybride tubes-transistors) ou alors à tous les étages (on parlera alors d’une amplification à tubes, tout court). Le MS1000SE appartient à la première catégorie, ses étages de puissances sont donc transistorisés. Il coiffe une gamme de six intégrés hybrides dans un montage tubes-transistors plus raffiné que ses petits frères et plus puissant qu’aucune autre solution dans la gamme. Il a pour ambition toute simple d’alimenter toutes les enceintes que vous voudrez lui raccorder, même les plus exigeantes, sans effort apparent, de leur insuffler vie et spontanéité et de les ouvrir spatialement comme seules les grandes électroniques savent le faire. Tout un programme. Culotté le garçon d’oser se mesurer à des légendes issues de très grandes marques ? Il est vrai que son prix, juste en-dessous de 3.000€, peut faire sourire, lorsqu’on sait que c’est plutôt 6 à 10.000€ qu’affichent ses concurrents à la puissance comparable, au pédigrée inattaquable et à l’historique prestigieuse.


Et que dire alors de nos petites Filante 13, toutes modestes dans leurs proportions très équilibrées, et leur petit transducteur de 13 cm épaulé par un tweeter dans une configuration une voie et demie…? D’ailleurs qu’est-ce que cela veut dire une voie et demie, on n’a jamais vu ça. Et combien dites-vous? Moins de 1.000€ ? La paire ? Oui, en effet, 990€ les deux pour être précis. Et pourtant, elles ne manquent pas non plus d’ambition, mais autant l’ampli MS1000SE n’hésite pas à les afficher visuellement, autant les Filante 13 jouent la carte de la sobriété et de la discrétion. Et pour être de bon compte, il faut bien sûr préciser que si nous vous les présentons de concert dans cet article, ce n’est sans doute pas l’intention du fabricant de les associer pour constituer un système cohérent. Les Filante 13 n’ont pas besoin d’un amplificateur aussi généreux et le MS1000SE peut alimenter des enceintes beaucoup plus exigeantes. Mais pourquoi pas au fond, aucune expérience n’est inintéressante ?

Sur ce, nous voilà bien échauffés et les 23 Kg du MS1000SE ne nous demandent pas trop d’effort. Comme d’habitude chez Pier Audio, l’emballage carton est doublé et les protections généreusement dimensionnées, l’appareil ne risque rien durant le transport. Notre exemplaire en finition gold brille de mille feux, prévoyez des lunettes solaires si vous le déballez en plein jour. C’est trop pour vous ? Pas de problème, une version noire est disponible. Mais la finition gold nous plaît, car quand on vous dit doré, ce n’est pas champagne, c’est or jaune ! Poser un appareil comme celui-là sur nos étagères fait presque disparaître tous les autres même sans l’allumer. Mais si vous le mettez sous tension, alors là c’est Noël avant l’heure ! Les larges ouvertures « vitrées » sur les 5 tubes de la préamplification donnent à les voir en double, car un jeu de miroirs disposé derrière eux crée des reflets assez fascinants, dans une lumière ambrée de coucher de soleil induite par le rétro-éclairage du Vumètre circulaire dont l’aiguille ne demande qu’à se mettre à danser sur le rythme de la musique. D’accord, c’est cosmétique, mais les amateurs de produits hifi que nous sommes ne demandent qu’à se laisser séduire par le plumage rutilant de ce sacré volatile. Qu’en est-il du ramage ? Après quelques heures passées à ne pas écouter à bas volume (essayez pour voir, c’est super difficile, en général nous n’y parvenons pas), nous nous sommes installés pour commencer à augmenter un peu le volume et à choisir quelques extraits de musique bien connus dans notre liste. Et comme nous sommes parfois un peu flemmards, nous nous sommes contentés de commencer avec les enceintes qu’on avaient connectées sans trop réfléchir, le temps de laisser la bête prendre sa température. Oufti, comme on ne dit pas à Namur, ça décoiffe ! Quelle énergie ! Quel espace ! Nos Bowers & Wilkins 603S3 ne se sont pas reconnues… Et sans comparer à quoi que ce soit d’autre, nous non plus ne les avons pas reconnues. On le sait, ces anglaises aiment les amplificateurs qui les bousculent un peu, mais là…! C’est un peu comme si un chiropracteur les avait décoincées de partout et qu’elles se mettaient à performer au-delà du potentiel que nous leur connaissions.


Mais ce n’est pas tout, parce que si on s’arrête à ça, on pourrait se dire que Monsieur Muscles porte bien son nom mais que toute cette puissance, c’est un peu court pour nous émouvoir véritablement. Et c’est là que Monsieur le Culturiste nous coupe la chique, car ce qui fait la vie du son, sa plasticité dynamique, est plutôt de l’ordre de la micro-dynamique, c’est à dire de l’accumulation foisonnante de petites variations d’intensité liées au jeu des musiciens ou à la voix des chanteurs. Le piano par exemple est un instrument d’une richesse infinie à cet égard : si on y songe, souvent le piano mis à disposition des interprètes dans telle salle de concert est le même à de rares exceptions près. Ce qui signifie que rien ne change d’un concert à l’autre, ni l’instrument, ni l’acoustique, peut-être même pas l’œuvre écoutée en fonction du programme proposé. Et pourtant vous vous ferez sans doute la réflexion que tel interprète a décidément un toucher de velours, tel autre une articulation du son incroyable, une profondeur ou une légèreté incomparable… Ils ont pourtant employé la même mécanique, ce sont donc leurs intentions, leur lecture de la partition qui font toute la différence. Et cela se traduit par une infinité de nuances que vous pouvez percevoir de façon très claire. C’est exactement cela que la micro-dynamique nous transmet, cette infinité de nuances fines qui mises bout à bout font toute la différence et vous font préférer tel interprète à tel autre. Et c’est en général, le terrain de jeu préféré des électroniques à tubes, même hybrides. Le fonctionnement du MS1000SE y ajoute pour la partie puissance à transistors un fonctionnement en classe A jusqu’à 20 watts. Pour simplifier, disons que les transistors sont toujours associés par paires dans les circuits audio de puissance, l’un pour la partie positive du signal, l’autre pour la partie négative. Et dans un schéma conventionnel, le premier commute pour la partie qui lui revient et s’éteint quand c’est à l’autre de commuter. Chacun son tour. Il en résulte une distorsion de croisement ou de commutation c’est à dire une légère déformation liée au fait que le composant est en mode OFF juste avant d’intervenir. En classe A on laisse le transistor qui n’a rien à faire en mode ON ce qui supprime la distorsion de croisement. On peut facilement comprendre qu’il en résulte un certain échauffement puisque le transistor n’amplifie rien la moitié du temps et donc dégage thermiquement ce qu’il ne peut dégager électriquement. Cette absence de distorsion de commutation est par contre tout bénéfice pour la lisibilité du message sonore qui s’en trouve encore plus détaillé et raffiné. Il est illusoire et techniquement très exigeant de vouloir pousser ce fonctionnement en classe A sur la totalité de la plage de puissance. Les températures très élevées rendraient nécessaire un surdimensionnement des éléments de refroidissement à un point tel que l’appareil ne serait plus logeable. Mais surtout c’est parfaitement inutile. La qualité micro-dynamique obtenue avec une fraction des 150 watts (20 watts en fait) est amplement suffisante pour obtenir le raffinement souhaité là où cela s’avère le plus gratifiant pour nos oreilles. Le résultat est remarquable, à la fois par la puissance facile et rapide délivrée par l’engin, mais aussi par un ensemble de qualités : articulation du son, transitoires foudroyants, espace parfaitement défini débordant largement du cadre des enceintes, présence pleine et crédible des instruments solistes et des voix… Rien n’échappe au contrôle parfait de Monsieur Muscles, mais c’est l’émotion et la vérité qui en ressortent grandes gagnantes. Et comme de surcroît il n’est pas avare de ses efforts, il se dégage une grande impression de fun, façon live.


De son côté, notre modeste Madame Normale se manipule en toute légèreté et la voilà facilement posée sur une paire de pieds d’environ 70 cm de haut. Bon, je dis Madame Normale, mais elles sont sœurs jumelles en fait, comme souvent avec les paires d’enceintes acoustiques, vous avez remarqué ? Donc voilà les frangines perchées, et comme pour le MS1000SE nous les laissons fonctionner à bas volume sans les écouter. Et rapidement, trop rapidement comme souvent, nous commençons à tendre l’oreille puis à nous installer face à elles. Et comme souvent nous sommes un brin déçus. Et comme souvent nous concluons que c’est inutile de continuer à les écouter davantage à ce moment-là. Nous les installons plutôt à l’arrière et les laissons jouer en sourdine pendant plusieurs jours. Et c’est donc quelques jours plus tard que nous les ramenons à l’avant et que nous les faisons jouer plus intensément. Le petit stage au fond du magasin leur a fait un bien fou, les voilà dans de toutes autres dispositions. Et nous aussi sans doute. Quoiqu’il en soit, l’ouverture dont elles font preuve désormais est absolument étonnante. Non que ce soit grandiose ou cinémascopique, c’est surtout qu’elles disparaissent complètement au profit de la musique reproduite, comme si leur modestie les obligeait à s’effacer. Impossible de les situer, la scène sonore est remplie entre les enceintes et varie d’une façon surprenante d’un enregistrement à l’autre, suivant l’espace dans lequel s’est déroulé la prise de son et la méthode de captation utilisée. Mais ce qui frappe plus encore c’est que cette immersion est procurée davantage par un évidement que par un remplissage en quelque sorte. C’est assez difficile à expliquer mais j’ai l’impression que la vérité de ces enceintes se fait plutôt par la soustraction de certains enrobages auxquels on est confronté d’habitude, comme si la sobriété de leur apparence était le reflet d’une grande simplicité d’approche, peut-être légèrement plus crue une fois dépouillée de ces artefacts acoustiques qui caractérisent parfois d’autres productions. Un peu comme en photographie, lorsque le noir et blanc dépouille une image jusqu’à l’os et dirige votre regard à travers les détails en direction de l’essentiel. Et paradoxalement, il y a un caractère très touchant, très intime et quelque part très doux, parce que débarrassé de toute technicité. J’évoquais le piano, mais je pourrais tout aussi bien parler de n’importe quel instrument acoustique ou électrique, voire électronique. La majesté habituelle s’estompe un peu pour donner à entendre le grain, l’essence du timbre. Et que dire des voix ! L’aspect légèrement trop charnu pour être tout à fait honnête (quoique souvent profondément satisfaisant) de nombres d’enceintes est ici gommé pour rendre la moindre inflexion plus vivante, comme sortie de dessous sa couette pour apparaître plus nue et plus vraie. Cette approche sensiblement différente est particulière, vous l’avez compris, elle ne sera pas du goût de tout le monde et peut déstabiliser. Mais elle constitue une alternative vraiment originale que nous sommes ravis de proposer.


Techniquement, cette enceinte est différente : elle adopte une solution peu fréquente quoique largement utilisée dans l’histoire de la reproduction sonore puisque ce fut tout simplement la première… Le haut-parleur large-bande. Mais Pier Audio l’adapte à sa sauce, et il faut à ce stade expliquer que l’acousticien qui a développé les enceintes de la marque est un monsieur qui a une carrière conséquente (Elipson, Jamo et Davis Acoustics entre autres). Et comme il est arrivé à un stade où il n’a plus rien à gagner en quelque sorte, il s’est penché à la demande de Pier Audio sur cette technique historique mais jamais disparue (un peu comme les tubes en fait), en y apportant une touche de modernité. En effet, la large bande est une forme d’idéal puisqu’il reproduit en principe toutes les fréquences contrairement aux systèmes multivoies qui nécessitent de les répartir entre plusieurs transducteurs. Et exigeant en conséquence plus de composants passifs pour le filtrage, affectant à la fois le rendement et la mise en phase, ce qui est critique pour obtenir une fusion parfaite entre les registres et une scène sonore limpide. Pour autant, le large-bande n’est pas dépourvu de défaut et quelle que soit la qualité de sa conception, il est toujours légèrement affecté par un manque de linéarité (d’équilibre) à travers la bande passante. Par ailleurs il est naturellement limité dans sa reproduction des fréquences les plus aigües. S’il s’était contenté d’en choisir un, de calculer la charge acoustique (le volume de l’enceinte) et de régler le bass-reflex, il aurait obtenu une énième itération d’un concept vieux comme le monde de la reproduction sonore, un de plus, comme en conçoivent tous les jours des amateurs-bricoleurs, pour le plaisir. Mais, conscient des qualités énormes du principe et de ses limites intrinsèques, il a préféré d’une part, ajouter un tweeter pour accompagner et étendre la réponse naturelle du large-bande et d’autre part filtrer, le plus légèrement possible, le dit large-bande pour le linéariser et étendre sa réponse dans le grave. D’où l’appellation 1 voie et demie, tout à fait légitime pour décrire le travail effectué. Le rendement de l’enceinte est de 90dB et son impédance de 8 Ohms ce qui en fait une compagne idéale pour des amplificateurs de puissance modérée. Elle sera à l’aise dans des espaces raisonnables et jouera de préférence à des niveaux modérés ou moyens (chacun se fera son idée à ce sujet). Disons qu’elle n’est pas conçue pour fendre les parois de vastes espaces, mais vous l’aviez deviné, n’est-ce pas ?
Pas besoin donc d’associer le MS1000SE et les Filante13. Mais évidemment nous l’avons fait, et nous n’en sommes pas restés là, nous avons branché le MS880SE (2 x 100w, 2.190€) et le MS580SE (2 x 50 w, 1.490€). Dans tout les cas, c’est une évidence, qui l’eut cru. Mais comme nous ne sommes pas monomaniaques ni mono-marque, nous avons aussi essayé avec d’autres électroniques (Atoll, Cambridge, Denon, Marantz…). La facilité d’exploitation et d’association de ces enceintes les rend vraiment souples quant au choix des électroniques partenaires. Si vous craquez pour leur tempérament un peu atypique, vous aurez l’embarras du choix. Quoiqu’il en soit et comme expliqué plus haut, l’addition d’une telle proposition à notre panel habituel s’est faite sans que le moindre doute ne nous traverse l’esprit. Nous nous réjouissons d’ailleurs de vous parler un peu plus tard dans la saison d’une réalisation encore plus atypique dans la gamme Pier Audio. Stay tuned.
Merci pour votre lecture !